Prendre du temps... pour lire! -4

Quelle belle saison pour lire que celle des vacances ! J'ai profité de tous ces beaux jours dont l'été 2018 nous a gratifiés pour rallonger ma liste de "livres lus" !
Quels seraient ces livres dont je voudrais vous parler?? Encore une fois, le choix demeure difficile !  Les vacances, il me semble, c'est propice pour lire un bon polar! Et nos nordiques voisins suédois nous comblent de bonheur dans ce registre de lecture, n'est-ce pas? J'ai bien pensé vous faire l'éloge de "La faiseuse d'anges" de Camilla Läckberg… Et que dire de Philip Kerr, auteur anglais qui nous projette au cœur de la Seconde Guerre mondiale: on a l'impression en le lisant qu'il y était ! Alors peut-être que je pourrais vous parler de "La dame de Zagreb" un de ses romans où Bernie Gunther  ce cynique  héros de nombreux romans de Philip Kerr nous fait part de ses inquiétantes tribulations ! J'ai pensé aussi à ce roman de Stephen King, "La tour sombre"...mais je ne l'ai toujours pas lu, il s'attarde sur ma table de chevet...car j'attends pour le lire d'avoir besoin de vivre un peu d'angoisse...😱!!

Mais après quelques réflexions, j'ai choisi deux romans qui m'ont surprise et qui, d'une autre façon que les polars certes, m'ont comblée de plaisir à les lire ! Ce ne sont pas des romans de pure détente, ce sont plutôt des lectures qui obligent à s'arrêter, à être attentif à l'écrit, à s'attarder sur la forme. Deux romans qui se doivent d'être lus: car le plaisir de lire  se trouve aussi dans l'enchantement  et la poésie des mots, dans les styles qui sortent des sentiers battus pour nous dérouter…J'ai donc opté pour "Alma" de J.M.G. Le Clézio et "Le ravissement des innocents" de Taiye Selasi.

Les voici tels que je les ai lus! 

Alma de J.M.G. Le Clézio

Difficile de parler de ce roman! Est-ce que je le lis comme un roman, un récit où je suis l'intrigue tracée par les personnages, sans plus? Non ! Trop de facettes s'enchaînent, se croisent et m'interpellent ! 

Dès les premières pages, je me sens un peu perdue dans cet univers: où veut-on m'amener? Puis je me laisse porter par les mots si beaux, les noms de lieux, la litanie des noms de famille et des prénoms de ceux qui sont sans nom, la langue créole qui se glisse et qui oblige à un effort d'attention...presque de lecture à  haute voix pour bien entendre ce qui est conté. Puis ensuite l'Histoire attire l'attention: le passé de l'Île Maurice, ce joyau dans l'Océan Indien pratiquement inhabitée avant l'arrivée des Européens explorateurs et colonisateurs et le si dur et si malheureux souvenir des esclaves emmenés sur l'Île. Humains et terres exploités pour la culture de la canne à sucre; les richesses naturelles qui se fondent dans la richesse des exploitants, au détriment de la nature...Mon appétit  de lectrice est stimulé par tous ces niveaux de lecture qui poussent soit à la réflexion, soit à la contemplation d'une prose magnifique que je veux savourer, d'un récit qui parle au présent et qui laisse entrevoir que le temps efface bien des traces dont on voudrait se remémorer...

Mais qu'en dire un peu plus? D'abord cet auteur, Jean-Marie Gustave Le Clézio a reçu le prix Nobel de littérature en 2008. Bon! Déjà on a l'impression que ça met la barre haute au lecteur ! Il faudra pouvoir faire face ! Et pourtant  ce roman se lit tout en douceur une fois qu'on s'y laisse prendre et envelopper ! L'auteur nous fait voyager dans le temps et l'espace: on y rencontre deux protagonistes que l'on suit sur les traces de leurs histoires respectives qui s'enchevêtrent dans  les fils du passé: Jérémie et Dominique dit Dodo, parents éloignés d'une même famille, celle des Fersen. 

Le premier qui n'est pas né sur l'Île est à la recherche de ses racines et du fameux "Dodo" ou "Dronte de Maurice", cet oiseau maintenant disparu. Le second, Dodo, clochard issu de la branche "pauvre" de la famille, erre dans l'Île à la fois rieur et accablé par la maladie, protégeant le nom et le souvenir de ses ancêtres au cimetière jusqu'à ce que les curieux hasards de la vie lui permettent de rejoindre la terre de ses ancêtres, la France. Entre les deux, Alma ce domaine familial quitté, perdu et disparu mais quand même gravé dans la mémoire: c'est la trame de fond de ce roman où s'inscrivent les souvenirs de Dodo et de Jérémie.  Jérémie et Dodo alternent leur tour de parole, de chapitre en chapitre, Dodo empruntant l'italique et conjuguant toujours au présent même lorsqu'il parle du passé! Un bon exercice de concentration pour le lecteur.

Un livre surprenant à prime abord mais qui vaut que l'on se laisse apprivoiser...ce qui se fait après quelques pages:  j'ai été vite séduite! Le serez-vous?

Le dodo, emblème de l'Île Maurice

Le ravissement des innocents de Taiye Selasi

Si M. Le Clézio est Nobel de littérature, auteur de nombreux romans et essais, "Le ravissement des innocents" est le premier roman de Mme Selasi, dont le titre original en anglais est "Ghana must go" (2013). 

Voici un second roman étonnant au style bien particulier et à la syntaxe inusitée qui mènent ensemble un rythme saccadé parfois déroutant. "Le ravissement des innocents" relate une saga familiale pleine d'actualité avec des retours, ici aussi, dans le passé pour mieux saisir le présent. Un roman qui pose un regard sensible sur les relations intrafamiliales, les secrets, les non-dits, les attentes, les espoirs et aussi parfois le poids des liens.

Une famille ghanéenne vivant aux États-Unis subit les contre-coups de l'humiliation, de l'injustice sur fond de racisme que subit le père, Kwaku Sai, médecin à l'avenir prometteur.

Kwaku, le père,  accablé par la honte disparaît: cet événement est le point de rupture tragique  dans la vie des membres de cette famille qui perd pied, chancelle et se disloque. 

Chacun porte sa connaissance de cette disparition, des décisions et choix qui seront faits. Chacun porte comme un fardeau une part de secret, de souvenir des années de la vie d' avant le déchirement. On y circule entre les États-Unis et le Ghana, entre deux cultures, deux mondes où chacun y cherche son identité et son appartenance.

Kwaku, le père meurt: personnage central et manquant sur qui s'axe encore une fois la vie de ses enfants et de son ex-femme, Folasadé. Sa disparition a marqué la fin de l'unité de la famille; sa mort en marque les retrouvailles au Ghana, terre des origines. Retrouvailles qui se font d'abord timidement, avec hésitations, pleines des peurs et anticipations de chacun face au regard des autres...Puis les mots viennent et les visions de leur histoire se superposent et se complètent, prenant sens.

Tout au long de ce roman, Taiye Selasi évoque "la maison familiale", celles aux États-Unis et celles au Ghana : la maison où Kwaku a grandi et celle qu'il s'est fait construire au seuil d'une nouvelle vie le regard tourné vers le passé; celle de Folasadé qui rassemble ultimement la famille dispersée. Symboliques ces maisons qui tentent de contenir des êtres différents, unis par les liens du sang, par leur histoire? Peut-être…

Mais "Le ravissement des innocents" c'est bien plus que la saga familiale, c'est aussi l'espace de vie d'autres personnages colorés, parfois sordides et menaçants, parfois attachants. C'est l'histoire de renoncements, d'espoirs, d'ambitions, de quêtes et de conquêtes. Un roman en ombre et en lumière...où le bonheur me semble  y être presqu'absent…

J'espère que je vous ai donné le goût de vous plonger dans la lecture de ces deux romans! J'aimerais bien que vous m'en disiez vos impressions ! Vous avez aimé? Ou au contraire les styles peu communs vous ont plutôt rebutés? Si de mon côté j'ai apprécié aller à la rencontre de ces deux auteurs...je sais que ces deux romans n'ont pas fait l'unanimité autour de moi: mais n'est-ce pas que c'est aussi une bonne occasion pour en parler et discuter des points de vue qui diffèrent?!!